Aller au contenu

Pourquoi les gays se discriminent entre eux ?

Les discriminations entre gays existent. Elles participent du même fonctionnement que toutes les autres discriminations, y compris l’homophobie. Élise Marsicano, maîtresse de conférences en sociologie, et Florian Vörös, maître de conférences en sciences de l’information et de communication, reviennent sur ce paradoxe.

Temps de lecture : 5 min

Alors que la grande majorité des hommes qui ont des relations sexuelles avec un ou d’autres hommes (HSH) ont vécu une forme de discrimination en raison de leur orientation sexuelle, ils peuvent développer des discriminations vis-à-vis d’autres HSH. Comment se construisent ces discriminations ? Élise Marsicano, maîtresse de conférences en sociologie, et Florian Vörös, maître de conférences en sciences de l’information et de communication, dressent un constat des raisons pour lesquelles des gays discriminent d’autres gays. La lutte contre l’homophobie, mais aussi contre le sexisme, le racisme et toutes les autres discriminations, sont un seul et même combat. 

 

Toutes les discriminations se construisent-elles de la même façon ?

 Élise Marsicano et Florian Vörös : Oui, les discriminations fonctionnent comme les inégalités : on hiérarchise les groupes sociaux selon leur sexe, leur âge, leur classe sociale, leur race, leur orientation sexuelle… Un groupe est dans une position privilégiée (il devient le groupe majoritaire) et l’autre dans une position discriminée (il est le groupe minoritaire). Il peut s’agir des hommes et des femmes, des hétérosexuels et des non-hétérosexuels, des personnes cis et des personnes trans, des personnes valides et des personnes non-valides, des Français et des étrangers, etc. L’homophobie, par exemple, existe à cause de l’hétérosexualité établie comme norme sociale majoritaire en termes de sexualité.  

 

Pourquoi une personne gay en vient à discriminer d’autres gays ?


 E. M. et F. V. : Les hommes gays blancs, par exemple, ne reproduisent pas des discriminations raciales parce qu’ils sont minoritaires (gays), mais parce qu’ils sont majoritaires (hommes blancs). Ils se montrent souvent très prudents sur leur relation aux hommes hétéros, face auxquels ils occupent une position minoritaire. En revanche, ils le sont beaucoup moins dans leur rapport aux hommes racisés, vis-à-vis desquels ils occupent une position majoritaire.

 

Comment définir la follophobie lorsqu’elle est opérée par une personne homosexuelle ? 


 E. M. et F. V. : La misogynie, c’est-à-dire la dévalorisation du féminin, est une des sources de la follophobie chez les gays. Comme la plupart des hommes, les hommes gays évoluent dans une société patriarcale dans laquelle les hommes « virils » sont considérés comme plus « normaux » et plus désirables que les hommes efféminés. Il n’est pas rare d’entendre des hommes gays dire qu’ils se sentent plus proches des hommes hétéros que des « folles » parce qu’ils sont « normaux ».

 

Quels conseils donner à des victimes de discriminations entre gays ? 


E. M. et F. V. : C’est un problème collectif avant d’être un problème individuel. Le fonctionnement des espaces gays favorise les hommes qui correspondent à la norme sociale dominante (blancs, virils, valides). Certaines applications de rencontre le reconnaissent désormais à demi-mots en proposant des contenus de sensibilisation contre les discriminations à leurs usagers, mais cela reste très insuffisant. Le poids de la sérophobie, de la follophobie et du racisme continue de peser sur les épaules de ceux qui subissent ces discriminations. Les comptes Instagram « Personnes racisées versus Grindr » et « Séropos versus Grindr » permettent aux victimes de partager leur expérience en ligne et d’interpeller publiquement sur le problème des discriminations sur les applications de rencontre. Rompre le silence et en parler publiquement peut être une démarche libératrice, même si elle peut aussi exposer à des violences.

 

Comment faire en sorte que chacun développe de l’empathie envers les autres ? 


E. M. et F. V. : Le manque d’écoute est un autre aspect de la discrimination. Par exemple, le racisme fait voir comme « agressifs » les hommes arabes qui prennent publiquement la parole contre les stéréotypes dont ils font l’objet de la part d’un groupe majoritaire (en l’occurrence, les hommes blancs). Il ne peut donc pas y avoir de réelle empathie sans lutte active contre les discriminations.